Rendez-vous avec Pluton

Le 14 juillet prochain, la sonde spatiale New Horizons arrivera à proximité de Pluton, la plus petite, la plus lointaine et la plus mystérieuse des planètes du système solaire.

Après un voyage de plus de neuf ans, elle livrera à l’humanité les premiers clichés « de près » de la surface de Pluton et de son principal satellite, Charon, pour se diriger ensuite vers la ceinture de Kuyper et au-delà. Si l’exploration de la dernière planète est très attendue par le monde scientifique, elle n’en relève pas moins d’un formidable défi, un défi qu’on peut même qualifier de prométhéen : dans la mythologie gréco-romaine, Pluton est le dieu des enfers, l’obscur séjour des morts sur lequel il règne sans partage. Et il n’aime pas qu’on le voie, c’est pourquoi il porte en permanence un casque qui le rend invisible.

Pour les astrologues, Pluton est rattaché au signe zodiacal du Scorpion : celui-ci se rapporte à la mort et aux peurs qu’elle inspire, aux crises qui engendrent le chaos et compromettent pour un temps l’équilibre de l’existence, tant au plan individuel que collectif. Il s’agit en fait des processus de désintégration et de régénération qui donnent lieu au plus grand des mystères : le passage d’un état d’existence à l’autre, qui toujours s’accomplit dans les ténèbres. Dans ces conditions, on peut supposer que le fait de photographier Pluton risque fort de susciter son courroux et de précipiter le monde dans une phase d’obscurité : sa découverte en 1930, quelques mois seulement après le fameux « Jeudi noir » d’octobre 1929, a coïncidé avec l’émergence de dictatures totalitaires dont le nazisme a constitué le plus tragique exemple. Comme on ne le sait que trop, cette obscuration progressive de la conscience collective a conduit en moins de dix ans à la Seconde guerre mondiale, véritable enfer sur terre avec la Shoah, Hiroshima et Nagasaki, et la mort de 80 millions de personnes. Quelques années seulement après la guerre, le processus de régénération donnait lieu à l’avènement des Trente Glorieuses.

Peut-on légitimement penser que la découverte d’une planète ou le fait de la photographier puisse être associé à des événements affectant le cours de l’Histoire ?

La découverte puis la photographie des deux premières planètes invisibles à l’œil nu, Uranus et Neptune, permettent tout au moins de s’interroger. Découvert en 1781 au terme du siècle des Lumières, Uranus est lié aux notions de révolte contre l’autorité (le roi, Dieu et ses représentants), de libération de l’individu (les Droits de l’homme et du citoyen), d’accélération du temps, d’explosion d’énergie concentrée : dès 1776 les États-Unis déclarent leur indépendance, 1789 voit éclater la Révolution française et 1786 s’élever le premier ballon à air chaud dans le ciel de Paris. Trois mois après les premières photographies d’Uranus prises par la sonde Voyager 2 en janvier 1986, survint la catastrophe de Tchernobyl, le plus grave accident nucléaire à ce jour.

Neptune, découvert en 1846, symbolise l’abolition des différences, la communion et le partage, l’exil et l’illusion, la vapeur et le brouillard. De fait, l’exode rural, consécutif aux débuts de l’ère industrielle favorisés par l’invention de l’énergie-vapeur, donna lieu à la naissance d’un prolétariat aux conditions de vie misérables. Si le milieu du XIXe siècle vit déferler une vague de mysticisme chrétien, la Révolution romantique de 1848 coïncida avec la naissance de la doctrine communiste, une illusion qui allait perdurer un siècle et demi et qui s’acheva précisément avec les premières photographies de Neptune par la même sonde Voyager 2, fin août 1989. À peine plus de deux mois plus tard, le mur de Berlin s’effondrait, mettant un terme à l’équilibre géopolitique instauré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le remplaçant par un monde multipolaire aux contours de plus en plus difficiles à cerner.

À quel type d’événement peut-on s’attendre dans les mois qui suivront le passage de New Horizons à proximité de Pluton, soit à l’automne prochain ?

Probablement à l’exacerbation soudaine d’une ou plusieurs manifestations actuelles du symbolisme de la planète : le terrorisme islamique et sa contrepartie, la tentation totalitaire, la prolifération nucléaire ou encore la destruction apparemment inexorable de l’environnement. A quelles extrémités devrons-nous donc en arriver pour qu’émerge enfin une prise de conscience collective susceptible d’éveiller une humanité devenue globale mais chaotique ?